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1er question:
A qui profite la CNIL ?
Mardi 13 juillet 2004
La nouvelle loi "informatique et libertés" dénie ce pour quoi elle avait initialement été adoptée. Créée pour protéger les citoyens face à la toute-puissance des fichiers d’Etat, elle opère un profond renversement de perspectives, libéralise le fichage administratif généralisé, et couvre les dérives "hors-la-loi" des fichiers policiers. Ce que Jacques Chirac avait tenté de mettre en place en 1974, et que la loi "informatique et libertés" avait alors encadré, se retrouve aujourd’hui, sous la présidence du même Jacques Chirac, sanctuarisé.
Paris, le 13 juillet 2004 - Communiqué de presse de la Fédération Informatique et Libertés (FIL - http://www.vie-privee.org)
La loi "informatique et libertés" fera l’objet, ce 15 juillet, d’une substantielle mise à jour, mais aussi d’un profond renversement de perspectives. Créée pour protéger les citoyens face à la toute-puissance des fichiers d’Etat, elle libéralise le fichage généralisé, et couvre les dérives "hors-la-loi" des fichiers policiers.
SAFARI, à l’origine de la CNIL
21 mars 1974 : la révélation par le quotidien le Monde du projet SAFARI fait scandale. Les services de Jacques Chirac, alors ministre de l’intérieur [1], veulent en effet instituer un identifiant unique pour interconnecter les données de cent millions de fiches, réparties dans quatre cent fichiers, au sein d’un "Système Automatisé pour les Fichiers Administratifs et le Répertoire des Individus" (SAFARI) [2].
Le scandale est tel que le gouvernement crée une "Commission Informatique et Libertés", qui débouche en 1978 sur la loi du même nom, et donc la CNIL : le souvenir de l’utilisation de ce genre de fichiers du temps de la Collaboration est tel qu’il est hors de question de laisser l’Etat mettre en place un tel fichage généralisé de la population.
La loi s’applique principalement aux traitements mis en place par l’Etat, qui ne peuvent être mis en place que suite au vote d’une loi ou par acte réglementaire, et autorisation de la CNIL, les autres traitements -privés- étant soumis à une procédure de déclaration.
Le nouveau projet de loi
15 juillet 2004 : le gouvernement, activement soutenu par le président de la CNIL [3], entend faire adopter une refonte de cette loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés [4]. Entre autres choses, le projet de loi vise à éxonérer l’Etat de tout risque de sanction, à libéraliser la création des fichiers portant sur l’ensemble de la population (tels que la carte électronique d’identité ou les traitements relatifs à l’administration électronique), mais aussi à protéger les fichiers policiers (existants et futurs), et à couvrir le fait que nombre d’entre-eux sont d’ores et déjà "hors-la-loi".
Officiellement, le nouveau projet de loi vise à transposer une directive européenne datant de 1995 et que la France aurait du transposer depuis 1998 -c’est même le dernier pays de l’Union à le faire. La directive européenne ne prévoit, cela dit, aucune exemption pour ce qui est des fichiers d’Etat, et ne vise aucunement à couvrir les dérives des fichiers policiers.
Non contente d’être, depuis des années, dans l’illégalité tant par rapport aux règlements européens que face à la loi informatique et libertés, la France décide ainsi de rendre possible ce que la loi de 1978 cherchait précisément à empêcher.
Jacques Chirac l’avait rêvé (en 1974), il l’instaure (en 2004)
La principale critique apportée jusque-là à la refonte de la loi informatique et libertés, telle qu’elle avait été préparée par le précédent gouvernement socialiste, portait sur le fait que les fichiers policiers ne devraient plus être soumis à autorisation de la CNIL, comme la loi de 78 le prévoyait [5], et alors même que lesdits fichiers sont réputés être, non seulement truffés d’erreurs, mais aussi "hors la loi" [6].
La lecture du rapport [7] d’Alex Türk, sénateur, rapporteur de la loi et président de la CNIL depuis février dernier, est à ce titre édifiante. Il rappelle ainsi que :
le Sénat a -sous son impulsion personnelle [8]- "autorisé les entreprises à constituer des traitements sur les infractions dont elles ont été victimes", afin de légaliser les "fichiers de suspects" créés par les sociétés privées ;
mais qu’il a aussi "supprimé la possibilité de permettre à la CNIL d’ordonner la destruction de traitements" en infraction avec la loi ;
ainsi que "l’exigence d’une autorisation de la CNIL pour les traitements portant sur la totalité ou de la quasi-totalité de la population, le critère quantitatif n’apparaissant pas pertinent pour apprécier la dangerosité d’un traitement" ;
l’Assemblée, de son côté, a "modulé les pouvoirs de verrouillage de la CNIL" afin de lui retirer la possibilité de bloquer les fichiers policiers ou ceux qui, mis en oeuvre par l’Etat, font appel au NIR (ou n° de sécurité sociale (cf [9]), quand bien même il y ait "urgence (ou) menaces pour les libertés", et alors que c’est précisément le spectre d’une mauvaise utilisation de ces fichiers qui avait entraîné le scandale ayant débouché sur l’adoption de la loi informatique et libertés ;
l’Assemblée a aussi retiré à la CNIL ses pouvoirs de sanction dès lors que c’est l’Etat qui serait pris en flagrant délit d’infraction ;
afin de "revoir les procédures applicables aux traitements publics" [10], elle a aussi retiré à la CNIL le fait d’autoriser, ou non, "les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l’Etat et portant sur des données biométriques nécessaires à l’authentification et au contrôle de l’identité des personnes", et donc la future carte d’identité biométrique ;
ainsi que "les traitements tendant à (...) faciliter le développement de l’administration électronique" et ayant recours au NIR, alors même que ceux-ci, à commencer par le "dossier médical partagé" [11] régenteront tout ou presque de nos rapports à l’administration ;
le gouvernement a également fait adopter, à l’Assemblée, un amendement retirant à la CNIL ses "pouvoirs de contrôle sur place et sur pièce" des "traitements intéressant la sûreté de l’Etat (en pratique les fichiers les plus sensibles de la DST et de la DGSE)"... "à la demande de services de renseignements étrangers" (sic) ;
de même, le gouvernement a aussi rajouté à la loi le fait que "les données (gérées) par les services de police et de gendarmerie nationales puissent être transmises à des organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou à des services de police étrangers présentant un niveau de protection suffisant de la vie privée et des droits fondamentaux" ;
enfin, l’Assemblée a aussi différé de 2007 à 2010 la "mise en conformité (...) des traitements non automatisés de données à caractère personnel intéressant la sûreté de l’Etat, la défense et la sécurité publique", et donc le fait qu’ils s’avèrent "adéquats, pertinents, exacts, complets et, si nécessaire, mis à jour".
Une "collaboration" sans faille du président de la CNIL
"Au nom de la commission des lois", Alex Türk qui, "élu tout nouveau président de la Cnil la veille de la remise des prix, avait échappé de justesse à la récompense suprême" des Big Brother Awards 2003 [12], fort de sa double casquette de rapporteur du projet de loi au Sénat et de président de l’"autorité administrative indépendante de protection de la vie privée et des libertés individuelles ou publiques", "se réjouit de voir s’achever le processus d’examen parlementaire", et "propose d’adopter le projet de loi sans modification" [13].
La Fédération Informatique et Libertés estime pour sa part qu’il s’agit là d’un renversement total de perspectives de la loi "informatique et libertés". Ce que Jacques Chirac avait tenté de mettre en place en 1974, et que ladite loi avait tenté d’encadrer suite au scandale du projet SAFARI, se retrouve aujourd’hui, sous la présidence du même Jacques Chirac, durablement légalisé.
Pire : non content de libéraliser la création des fichiers "portant sur la totalité de la population", la refonte de cette loi -censée adapter la protection de la vie privée à l’évolution de l’informatique et des libertés- couvre sciemment les fichiers policiers, alors même qu’ils sont, non seulement "hors la loi", mais aussi truffés d’erreurs. Ce qui ne peut, décemment, être considéré comme profitable aux forces de l’ordre, et encore moins à la démocratie.